mercredi 14 mars 2012

"8 mars 2012 : «Québecois debouts, Québécoises à genoux». Et quoi encore ?!"

Nous étions dix, nous étions vingt, nous étions cent féministes qui se sont rendues, enthousiastes, à la marche pour les femmes et l’accès à l’éducation. Cette manifestation était organisée à l’occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars 2012 et avait comme point de départ le parc Émilie-Gamelin, à 15h. Pour les membres du comité-femmes Grève générale illimitée de l’UQAM, il n’y a pas à dire, nos attentes étaient grandes! En effet, nous nous sommes auto-organisées dans un comité non-mixte femmes au cours de la mobilisation contre la hausse des frais de scolarité, pour la gratuité scolaire et dans le mouvement de grève générale illimitée dans le but d’apporter une perspective féministe à l’analyse de l’accès à l’éducation et au militantisme dans le mouvement étudiant. Notre besoin de nous regrouper en non-mixité sur une base féministe vient de nos expériences de lutte, de nos malaises de lutte, de nos blessures de lutte et de la compréhension qu’il s’agit d’une situation partagée, causée par le patriarcat qui modèle nos expériences de femmes, d’opprimées, même au sein d’un mouvement de contestation. Que les conditions des femmes étudiantes ne soient que rarement mises de l’avant dans la mobilisation contre la hausse des frais de scolarité, que les slogans ne soient jamais féminisés dans les manifestations, que ce soit toujours en grande majorité des hommes qui organisent et dirigent les manifestations, on en est bien conscientes. On le sait, on sait même que quand on se mobilise pour que ça change, c’est bien souvent mal reçu, mal perçu, il y a peu d’ouverture à nos critiques et à nos nouvelles idées. C’est justement ce qui nous pousse à nous regrouper, à nous organiser. Mais que cette situation se reproduise le 8 mars, lors d’une manifestation pour les femmes et l’accès à l’éducation!? La mâchoire nous est tombée par terre. «Pas vrai. Merde. On n’est pas sorties du bois !» La marche vers la libération sera longue, à l’instar de la manifestation aussi qui, par bout, a été longue, surtout à courir après certains mecs qui visiblement ne comprenaient pas il était où, le problème. Alors, voici les 8 problématiques du 8 mars 2012.

1- La journée de LA femme

Le 8 mars est une journée qui célèbre non seulement la réalité des femmes, mais aussi les luttes passées qui ont mené vers une meilleure condition. Affirmer LA femme évoque une conception essentialiste et un modèle «universel», standardisé, occidental, blanc, aisé, hétérosexuel, un corps sans handicap de ce que sont les femmes. Un modèle restreint qui renvoie à une minorité privilégiée qui ne reflète aucunement la réalité. Bref, l’usage du «DES» est indispensable pour représenter les identités multiples qui s’entrecroisent dans chacune de nous. Cette utilisation problématique, en plus d’être sexiste, raciste, classiste, homophobe (et plus encore) néglige les luttes féministes passées qui ont permis le passage à une réflexion plus inclusive et moins opprimante. Le 8 mars nous rappelle que nous ne sommes pas à l’an zéro des luttes féministes : tant de combats ont été gagnés grâces aux militantes et penseuses qui nous ont ouvert le chemin. Pourquoi en faire fi ?

2- Absence de méthodes de travail solidaires

Pour nous, le mandat féministe de cette manifestation n’était pas un sous-entendu : nous étions présentes pour marcher en solidarité avec les femmes et pour notre accès à l’éducation. Nous ne nous attendions pas à cette négation, et pire, cette récupération brutale de la part de nombreux-ses participants-es de la journée des femmes et sa signification. À notre avis, la cogestion, la coopération et l’horizontalité organisationnelle de plusieurs groupes féministes dans l’élaboration d’un événement est en soi une mise en pratique du féminisme. C’est pourquoi nous croyons qu’en privilégiant ces pratiques, certaines valeurs féministes sont automatiquement mises de l’avant lors de manifestations et permettent ainsi d’éviter plusieurs formes de violences. Au delà des critiques sur la structure de l’événement, nous voulons souligner qu’une solidarité est nécessaire entre les groupes féministes, non seulement pour nous entraider, mais aussi par principe fondamentalement féministe. De la même manière, en ce 8 mars, nous avons été blessées par le manque de sensibilité féministe chez certaines participantes qui se sont ralliées à l«’universalité» qui rappelle uniquement le masculin en défendant les attitudes machistes de certains militants: tenez vous le pour dit, les termes «peuple» et «étudiants», en autres, excluent de manière systématique la réalité des femmes et des étudiantes.

3- Violence

Si Isabelle Dubé, journaliste à La Presse, nous a appris que la seule arrestation qui avait eu lieu en ce 8 mars était un incident isolé lors de cette marche calme et pacifique pour l’éducation des femmes, notre expérience fut toute autre. On assume qu’il n’y aura pas de violence pendant une marche lors de la journée des femmes, il s’agit ici d’une conception très limitée de la violence. Il n’y a peut-être pas eu de brutalité policière lors de la manifestation, mais notre expérience a été profondément violente. Le patriarcat dominant et ses représentations antiféministes, misogynes et machistes se sont manifestés très concrètement ce 8 mars dernier. Slogans injurieux : «Québécois debouts, Québécoises à genoux», résistance à la féminisation des slogans bien connus, messages machistes sur certaines pancartes, difficulté à respecter la place que les femmes prenaient au devant de la manifestation. La violence est dans les mots et les gestes et nous jugeons aussi que l’invisibilisation est une forme de violence, surtout en considérant l’histoire de l’oppression des femmes.

4- Invisibilité

L’illustration très concrète de cette invisibilisation a deux facettes. Tout d’abord, l’aspect sonore. C’est un problème d’entendre plus fort les voix masculines que les voix féminines lors d’une manifestation féministe, surtout lorsque ce ne sont pas les mêmes slogans qui sont scandés. Les hommes sont socialisés à prendre toute la place et leur voix est un outil pour le faire. Messieurs, prenez conscience de ce privilège et sachez qu’une manifestation féministe est une excellente opportunité pour mettre en pratique cette manière d’occuper l’espace sonore de manière non-autoritaire et non-opprimante.

Ensuite, l’aspect physique. Lors d’une manifestation présentée comme féministe, il est primordiale que les femmes soient à l’avant-plan. Elles ne doivent pas avoir à se battre pour défendre leur place dans la manifestation et se rendre visibles, mais lorsqu’elles le font, laissez leur la place. Il est incompréhensible de voir une majorité d’hommes au devant d’une marche qui souligne les femmes et leur accès à l’éducation. En ce 8 mars, ce n’est pas de la solidarité, c’est trahir et c’est se complaire dans des schèmes dominateurs, régressifs et opprimants.

5- Le proféministe de façade: démystifier l’allié

On a logiquement pris pour acquis que les participants-es de cette manifestation soutenaient la lutte féministe. Nous avons constaté que les hommes proféministes ont été discrets et ont été capables de mettre en pratique la critique féministe des comportements dominateurs. Ce qui nous amène à devoir démystifier «l’allié» : le proféministe de façade. Malgré les bonnes intentions, le fait que des hommes fassent le service d’ordre, se servent du porte-voix du groupe organisateur et essaient d’empêcher les femmes de prendre la rue lorsqu’elles l’ont voulu, démontre un manque de considération et de réflexion proféministe. Ceci n’est pas une critique du choix de mixité de groupes féministes, mais un appel à une véritable réflexion et mise en pratique du rôle d’un allié proféministe.

6- Couverture médiatique

Nous savons d’avance que les médias ne sont pas nos alliés. La couverture médiatique de la marche pour les femmes et l’accès à l’éducation est un exemple clair de, non seulement la distorsion de la réalité violente que nous avons vécu et une négation de celle-ci avec des titres d’article comme «Grève étudiante: après les heurts, le calme». La couverture de La Presse en est un exemple frappant par son choix de citation : premièrement, Léo Bureau-Blouin (FECQ) «Ça s’est très bien déroulé, a-t-il affirmé à La Presse. C’est la preuve que les étudiants sont pacifiques et ne cherchent pas la confrontation» et ensuite Gabriel Nadeau-Dubois (CLASSE) de dire que «Notre mouvement est capable d’utiliser toutes sortes de moyens pour se faire entendre. Des fois, des perturbations plus dérangeantes, des fois des manifestations plus calmes comme aujourd’hui (jeudi)». Le Devoir et La Presse ont une conception erronée du mouvement étudiant en y excluant explicitement les femmes et les luttes féministes. Par exemple, Le Devoir affirme que la marche «servait à faire d’une pierre deux coups en dénonçant la hausse des droits de scolarité tout en soulignant la Journée internationale de la (sic) femme» et La Presse, mentionne à la toute fin de leur article sur la marche que «les étudiants pensent aux femmes» en cette «journée internationale de la (sic) femme». Comme s’il n’y avait pas de femmes dans la communauté étudiante. Bien entendu, on a omit de féminiser l’article.

7- Affiches

Visuellement, la manifestation était exaspérante. Chaque pancarte non-féminisée, à caractère «universel» et même antiféministe nous atteignait comme une claque au visage. Les réflexions sur la féminisation devraient s’appliquer aux affiches (et aux slogans) lors d’une manifestation féministe. Cette logique implique donc qu’il faut éviter les expressions telles que «le peuple» et «les étudiants» étant donné que cela mène à l’évacuation des luttes féministes qui nous poussent à participer à une marche sur l’accès à l’éducation des femmes. Il ne faut pas oublier non plus qu’une féminisation sans réflexion critique ne peut être une action féministe. Nous avons aussi été horrifié par certaines pancartes affichant des grossièretés sexistes telles que «Le Québec et ses femmes» aux côtés de bateaux colonisateurs qui s’approchent du Nouveau-Monde et «L’éducation, c’est féminin». D’un côté, il y a l’affirmation que les femmes sont exclues du Québec (Sales impérialistes! Non, les femmes ne sont pas une nation à conquérir!) et de l’autre, le concept des emplois genrés se voit renforcé. N’oublions surtout pas la fameuse affiche: «Les femmes éduquées sont sexy!» qui, une fois de plus, réduit les femmes à leur apparence, à leur sexualité.

8- Priorisation des luttes

Nous voulons dénoncer la récupération androcentrique* du mouvement étudiant et du mouvement nationaliste. Telle que décrite par la couverture médiatique, cette marche avait tout l’air d’une manifestation étudiante comme les autres. Le comité-femmes GGI croit fermement que le mouvement féministe doit être transversal. La réflexion féministe ne doit pas être considérée comme une lutte à part. En effet, la hausse des frais de scolarité renforce l’oppression des femmes, mais il est aussi important de dénoncer celle qui s’articule au sein même des luttes étudiantes. Nous revendiquons le droit de dénoncer les dynamiques de pouvoir et de domination au sein même du mouvement étudiant sans être accusé de le désolidariser. Les analyses féministes au sein du mouvement étudiant permettent une plus grande inclusivité de communautés diverses puisqu’en plus d’accorder les réflexions sur les rapports sociaux de sexe, nous les faisons sur les rapports sociaux de classes, de «races», de «capacités physiques», d’orientations sexuelles et tout ce que comporte cet embarassant «et cetera». Quand, dans une marche pour les femmes et l’accès à l’éducation, le simple fait de remplacer «étudiants» par «étudiantes» provoque des réactions agressives, de la résistance machiste et des accusations de la part d’hommes (et même de certaines femmes) comme : «vous êtes discriminatoires envers les hommes», on prend conscience que les réflexions féministes sont plus jamais que nécessaire au sein du mouvement étudiant.



* Androcentrique masculin (féminin : androcentrique, masculin pluriel : androcentriques, féminin pluriel : androcentriques) Qui se place du côté de l’homme, qui a pour référentiel la pensée masculine.

Aussi : Culture androcentriste: Un monde fait par les hommes… une culture masculine à l’excès… comme si un sexe avait monopolisé toutes les activités humaines, en les appellant «accomplissements de l’H/homme et en les gérant comme tels» C’est ce que signifie l’expression culture androcentrique.


Par Comité-femmes Grève générale illimitée

1 commentaire:

Mouton Marron a dit…

Je n'étais pas là à la manif, mais j'endosse ce texte. Il me semble que ça fait plusieurs années qu'on féminise plusieurs des slogans (par exemple, "étudiant-e-s en colère pour la gratuité scolaire"). Si tu féminises pas même dans une manifestation de féministes, t'as un sale problème. Et le pire, c'est qu'après ça, plusieurs ne comprennent pas encore comment il se fait que plusieurs féministes organisent des actions non-mixtes.